Le spleen du minimaliste

entraînement en huarache

Toute médaille à son revers. Tout verre à moitié plein est aussi à moitié vide. Tout Sarkozy a son Fillon, à moins que ce ne soit l’inverse. Vous l’aurez compris au titre de cet article, j’ai décidé de faire mon coming-out … minimaliste. La question est : l’enthousiasme délirant – et sans doute irritant pour 99% des lecteurs de Wanarun – qui a accompagné ma découverte des Vibram, Kigo et autres huaraches – c’est mon côté « changement de pré réjouit les veaux », je n’y peux rien – s’est-il émoussé pour ne pas dire plus après la découverte d’une fracture de fatigue du second métatarsien et l’immobilité à laquelle elle me condamne ? En gros, faut-il que je jette le bébé avec l’eau du bain ?

Une petite digression médicale pour commencer. La fracture de fatigue du second métatarsien est une pathologie très fréquente chez le … danseur de ballet. Son diagnostic n’est en général pas facile car la douleur initiale peut être relativement supportable pendant plusieurs semaines. La radio ne révèle bien souvent strictement rien, il n’y a que l’IRM pour la mettre en évidence. En course à pied, quelle que soit la foulée, le second métatarsien subit des forces de cisaillement et des forces de pliage nettement supérieures à celles de ses petits camarades, phénomène aggravé lorsqu’on a un pied Grec – c’est mon cas. Ce type de fracture se résorbe dans la grande majorité des cas tout seul et sans appareillage, en plusieurs mois, si on continue à faire du sport, en 4 à 6 semaines, si on met le pied en décharge. Il n’y a de risque de rechute que dans 20% des cas et encore, après en moyenne 4,3 années. Enfin, ce qui est – rayez la mention inutile – flatteur / rassurant pour moi, c’est qu’une fracture de fatigue est l’apanage des sportifs car elle est due à une sur-sollicitation de la zone en question. Pour faire simple : les os subissent sans arrêt des micro-lésions à l’effort mais se reconstituent en permanence. Les muscles servent d’amortisseurs pour limiter la casse. Quand on s’entraîne trop, les muscles fatiguent, limitent moins la casse et les os n’ont plus le temps de se reconstituer entièrement jusqu’à, un jour, rendre l’âme.

Souple la Kigo Edge ? Non ?

Une fois qu’on a dit tout cela, peut-on dresser un lien direct entre ma fracture de fatigue et mon usage immodéré des chaussures minimalistes ? Je rappelle que j’étais en fin de préparation d’un marathon et que je parcourais donc 60 à 80 km par semaine en Vibram lorsque mes brillantes perspectives ont soudainement fondu comme neige au soleil.

Premier constat, je me suis beaucoup trop entraîné cette saison en enchaînant les objectifs, donc les plans d’entraînement correspondants, sans jamais prendre une semaine de repos, du 1er janvier à ce maudit jour d’octobre. Et quand je dis plans, c’est du … lourd, à raison d’une VMA, d’une EMA, d’une endurance et d’une sortie longue par semaine et toujours sur route. Jeune coureur à pied – 3 ans de pratique – mais dans un corps de vieux (44 ans). Ce surentraînement et cette absence de vraies plages de récupération sont, s’ils ne sont pas la cause première de mes problèmes, au moins un facteur aggravant.

Vibram fivefingers KSO en action

Deuxième constat, le 1er janvier 2010, je courais sur le talon. 4 mois de Newton en début d’année puis du minimalisme à fond – sauf ponctuellement pour quelques Vrais Tests Wanarun – ont fait que je me suis tout à coup retrouvé à courir sur l’avant du pied puis progressivement, dégradation ou relâchement, sur le milieu du pied, assez à plat d’ailleurs. Tout ceci s’est fait sans progressivité. Alors qu’il est recommandé, au départ, d’alterner minimalisme et chaussures classiques, j’ai beaucoup trop vite franchi le pas et suis parti bille en tête, réalisant tous mes entraînements en minimalisme. Alors, certes, ma foulée s’est très vite modifiée et du coureur lourdingue que j’étais m’a métamorphosé en quasi-Kenyan 🙂 enfin, m’a fait gagner pas mal de minutes sur mes performances mais à quel prix ? Le corps n’a pas suivi et n’a pas eu le temps de s’adapter. Un élément de preuve : après avoir quitté mes Newton, je suis progressivement reparti sur une foulée assez batarde.

Troisième constat, courir minimaliste sollicite effectivement de manière plus prégnante l’avant du pied. D’après la célébrissime étude Lieberman, reprise à choeur joie par les ayatollahs du barefoot, courir sur l’avant du pied réduit les forces d’impact dans le talon et la jambe. Oui, c’est vrai, je l’ai ressenti. Mais quid de l’impact sur l’avant du pied ? Personnellement, j’ai bien perçu que les sollicitations étaient plus fortes. Sollicitations amplifiées par des semelles minimalistes par forcément optimales. Je vous avais déjà dit dans ces mêmes colonnes que je trouvais les semelles des Vibram trop raides, trop dures au point d’impact, situé comme de bien entendu juste sous les métatarsiens.

De ces constats, que retenir ? Faut-il crier haro sur le baudet ? Oui … et non ! De mon expérience minimaliste, je retiens quand même cette découverte d’une foulée différente, d’une plus grande efficacité dans le mouvement, d’une sensation de liberté inconnue jusqu’alors.

Mais de cette expérience, je retiens également ma très mauvaise gestion de la nouveauté, mon manque de progressivité, cette volonté farouche d’en faire de plus en plus car tout se passait bien et même mieux que je ne le pensais. Je retiens également bien que le minimalisme n’y soit pour rien, ma très mauvaise gestion de saison d’où je me dois de tirer un retour d’expérience.

Par contre et j’ose l’écrire : tout n’est pas de ma faute ! Les fabricants de chaussures minimalistes, dans leur hâte de saturer une niche porteuse, n’ont pas forcément sorti des modèles « parfaits ». Dans leurs velléités de produire du simili-pieds nus, ils ont sans doute oublié quelques paramètres, notamment concernant la souplesse de la semelle. Et ça, c’est en courant quelques fois en huaraches que je l’ai constaté. Courir en huaraches, c’est vraiment courir pieds nus et la sensation n’a rien à voir avec celle d’une chaussure minimaliste. C’est autre chose.

Alors, on jette le bébé ou pas ? Non, sans doute pas mais si j’ai un conseil à donner c’est ALLEZ-Y PROGRESSIVEMENT !!!

Question subsidiaire : est-ce que je vais reprendre le minimalisme lorsque je pourrai recourir ? A votre avis ? Qui prend les paris ?