Comment j’ai jeté mes semelles aux orties

Selon la minutieuse comptabilité de mon logiciel préféré, c’est exactement 97 kilomètres que j’ai parcourus nus pieds. 97 kilomètres c’est peu mais c’est déjà beaucoup et à ce terme, j’ai cru utile de détailler par quel cheminement j’en suis arrivée à ne plus chausser mes runnings qu’à contrecœur.

Au commencement, il y avait le néant : je n’avais aucun avis sur la question. Curieuse de nature, je ne méprisais pas ceux qui couraient nus pieds pas plus que je ne ressentais d’attirance particulière pour cette pratique qui me semblait totalement étrange… Et puis au cours de ma préparation marathon (ci-devant détaillée au sein de la marathon’ac) il m’est apparu évident que ma foulée méritait, par l’ampleur de ses défauts, de tenter de remédier à ceux-ci. C’est dans cette optique et parce que je disposais d’un tapis de course que j’ai fait mes premiers pas sans chaussures. Sans celui que j’appelle mon tapis volant, il est vraisemblable que, jamais au grand jamais, je n’aurais ôté mes chaussettes pour exposer ma blanche et fragile plante de pieds à la rigueur de la rue !

Courir nus pieds même sur un tapis est une expérience très déroutante pour les « Toutantalon » dont je suis… La première évidence c’est qu’il est impossible, même avec l’amorti du tapis, d’attaquer par le talon, c’est physiologiquement impossible, et même si depuis des années, j’enfonce allégrement mon talon dans le sol, ce mouvement disparaît instantanément ; nus pieds, sans difficulté ni attention particulière, je pose l’avant pied d’abord !

M’est venue ensuite le constat qu’il était nécessaire de contrôler son équilibre latéral, équilibre dont on perd totalement le sens en courant avec des chaussures, enfin et c’est sans doute le plus saisissant, j’ai ressenti une joie animale et intense à courir nus pieds. Je ne m’attendais pas franchement à cela et explique certainement pourquoi la suite est une exhortation à la prudence.

La suite c’est la blessure. Et même si d’après mon médecin celle-ci ne s’explique pas par ma nouvelle pratique, je sais bien qu’elle en est le résultat. Sans entrer dans les détails (qui ont par ailleurs été relatés en d’autres endroits), j’indiquerai que mon enthousiasme a été si grand que j’ai totalement et brutalement changé de foulée en plein milieu d’une préparation marathon : je faisais alors toutes mes séances de VMA nus pieds sur tapis et les autres sorties en extérieur avec mes adidas (à l’exception deux petits 50 mètres totalement nus pieds en ville qui ne m’avaient pas convaincue de poursuivre l’expérience). Je dois avouer que j’apportais bien plus de soin à suivre à la lettre mon plan d’entraînement qu’à écouter la douleur de mes vieux os…

Un beau jour, en revenant d’une sortie de 21 bornes, j’ai senti l’un deux bouger sous mon lacet : c’était l’articulation du Lisfranc qui venait de lâcher et de se fissurer « façon Faille de San Andreas » (la métaphore est de mon radiologue…). L’IRM mettait également en évidence des lésions d’hyperpression sous l’avant pied qui bien que sans gravité à ce stade, démontraient que je n’y étais pas aller de « main » morte… Aucun médecin n’a rapporté cette fissure stricto sensu à la course nus pieds (à l’inverse des lésions d’hyperpression). A rebours, je suis pourtant tout à fait persuadée qu’elle en est le résultat, serait-il indirect : la modification radicale de ma foulée au beau milieu d’une préparation marathon et la sollicitation totalement modifiée des articulations de mon pied droit est évidemment à l’origine de cette blessure. De surcroît, j’avais le nez dans le guidon et j’ai négligé les signes d’alerte manifestes : la douleur au premier chef. La sanction a été sévère, je crois que que la blessure m’a mille fois moins fait souffrir que de devoir abandonner tout espoir de prendre le départ du MDP…

Une fois les béquilles tombées et la douleur envolée, je n’avais pourtant envie que d’une seule chose : recommencer à cavaler… et sans chaussures ! Courir sur tapis me faisant l’effet de cavaler dans une roue façon hamster, je me suis évidemment tournée vers les Vibram ! Sans même avoir repris le temps d’enfiler mes adidas me voilà donc chaussée de rose fluo à découvrir la dureté du pavé parisien. Doucement et précautionneusement. Avec des sensations assez proches que de celles que j’avais ressenties nus pieds. Et puis un jour, la faute à une ampoule, j’ai enlevé mes Vibram et j’ai continué nus pieds… Un moment particulier où j’ai réalisé qu’il m’était bien plus agréable de courir nus pieds qu’en vibram – différences que je détaillerai dans un billet ultérieur. Désormais, je ne chausse celles-ci que pour aller courir en forêt (j’envie Steph dont la plante des pieds supporte tous les terrains !). Je continue à être très prudente et demeure attentive tant aux lésions d’hyperpression qu’aux douleurs osseuses, levant le pied à la moindre alerte. Pourtant s’il est quelque chose qui m’est particulièrement pénible, c’est… de remettre des chaussures !

En prenant un peu de recul par rapport à mon cheminement, j’en ai tiré quelques enseignements :

– Les pieds et les mollets sont les deux parties du corps qui vous font mesurer combien courir nus pieds est différent de courir chaussé de running. Je n’ai pas évoqué cet aspect mais en courant nus pieds, c’est le mollet qui fait le travail de l’amorti, qui contrôle l’appui « en douceur » et je peux vous avouer que j’ai eu plus mal aux mollets en débutant la course nus pieds qu’après mon premier marathon ! Douleurs que je retrouve d’ailleurs depuis ma reprise, preuve s’il en est que je n’avais pas fini mon adaptation. Je cours désormais avec des manchons de compression, le temps que cela se tasse (lors de ma prépa marathon, 10 jours avaient suffit mais je sais bien combien rien n’est jamais immuable et dépend de chacun).

– Etudes scientifiques ou non, en ce qui me concerne je sais parfaitement que les chocs sont bien moindres en courant nus pieds qu’avec des runnings. Je le sais d’autant mieux qu’âgée de 43 ans et mère de trois enfants nés par voie basse, je souffre comme nombre de mes coreligionnaires de troubles du périnée. Troubles qui, en dépit de séances de rééducation périnéales, m’empoisonnaient l’existence ou plus exactement ma vie de coureuse puisque c’est uniquement en pratiquant ce sport que j’avais à en souffrir. Depuis que je cours nus pieds… et bien je suis définitivement guérie ! — en réalité, je n’ai plus à encaisser les chocs de mes sévères talonnades…

– J’ai retrouvé un confort dans la vie que j’avais perdu depuis des années ! : Et oui, depuis des lustres je ne supportais plus de marcher nus pieds, je n’étais « bien » que juchée sur des talons, je glissais des semelles dans toutes mes chaussures de ville, dans mes chaussures de rando et dans mes runnings évidemment. En l’absence de ces orthèses je marchais sur la pointe des pieds avec la sensation que ma voûte s’écrasait contre le sol. Et bien tout cela appartient au passé ! Mes pieds ont retrouvé un tonus et une cambrure qui changent mon quotidien. Je remarche avec des tongs et je peux attendre debout sans passer d’un pied sur l’autre pour soulager l’impression désagréable que m’enfoncer dans le sol ! Qu’il s’agisse de statique ou de posture, je suis guérie aussi !

– En contrepartie, j’ai aussi un pied un peu plus épais, si je n’ai pas changé de pointure, je sens qu’ils sont plus à l’étroit dans mes chaussures et je vois des muscles saillants, là où j’ignorais auparavant qu’ils s’en trouvaient !

– Courir nus pieds vous fait dépendre davantage votre environnement et donc d’être plus proche de lui aussi. On est obligé de courir en confiance (et les rues de paris le sont dans leur immense majorité !) On regarde le sol beaucoup, et puis on commence à oublier de regarder. Souvent maintenant je me rappelle à l’ordre pour prendre garde au verre ou au mégot mal éteint. Cependant, si je lève le nez c’est aussi parce qu’en 97 kilomètres je n’ai eu aucune mauvaise expérience à déplorer (ce qui ne signifie pas non plus que je doive cesser d’être attentive).

– S’élancer la plante à nue, c’est aussi retrouver des sensations anciennes : jouer à la marelle entre les pavés, sauter dans les flaques, glisser à n’en plus finir sur un revêtement que la pluie fait patinoire, sentir la boue s’enfouir entre les orteils… et puis le brûlant du macadam trop noir, le froid du petit matin et bientôt de l’automne. Celui de l’hiver sera trop froid, il me faudra alors rechausser, cela je le sais déjà. Alors peut-être je reprendrais mes Vibram…