Barefoot Running / Running Minimaliste Un autre son de cloche

Vu de notre beau pays, de ses bien trop creuses revues spécialisées, de ses quelques sites webs de passionnés, le barefoot running et le running minimaliste peuvent sembler d’aimables marottes pour quelques illuminés. Aux USA, la situation est radicalement différente et ces nouvelles approches de la course à pied suscitent un véritable débat d’idées, y compris dans les pages des revues spécialisées – loin d’être creuses celles-là.

Et quand je dis débat d’idées, c’est plutôt de croisades d’évangélisation dont je devrais parler, chacun se sentant investi d’une mission quasi-divine pour faire valoir son point de vue. Jusqu’à présent, tant dans mes articles généraux sur le sujet, qu’au travers de mes tests (Vibram, Terra Plana), je vous ai surtout présenté les « bons côtés » du minimalisme. Dans un souci d’équité et d’honnêteté, j’ai souhaité vous présenter aujourd’hui un point de vue différent.

Ce point de vue c’est celui d’un spécialiste en biomécanique, coureur à ses heures perdues – donc quelqu’un qui sait de quoi il parle -, fondateur du site http://www.runningbarefootisbad.com dont l’adresse URL résume à elle seule le contenu éditorial. Vous ne connaîtrez pas le nom de cette personne. Compte tenu du nombre élevé de « hate mails » qu’il – ou elle – a reçu depuis l’ouverture de son site, il – ou elle – a souhaité dorénavant garder l’anonymat le plus complet et a supprimé la possibilité de commenter ses articles. Néanmoins, pour www.wanarun.net, il ou elle a accepté de répondre à quelques questions. Je souhaitais l’en remercier.

1) La première question est évidente : pourquoi avoir créé ce site Running Barefoot is Bad ?

En tant que biomécanicien et coureur, les déclarations exagérées faites par certains membres de la communauté barefoot ont fini par m’exaspérer. On est dans une véritable phase d’évangélisation, « L’Eglise du Barefoot » en croisade. Au départ, j’ai voulu mettre en évidence, en postant des commentaires sur les blogs et forums dédiés au barefoot, que certaines interprétations des résultats de recherche étaient erronées, ou que ceux-ci étaient utilisées à mauvais escient. Quasiment aucun de mes commentaires n’a pu franchir la barrière du modérateur. Alors j’ai décidé de créer mon propre site avec dans l’idée de mettre en exergue une certaine crédulité de cette catégorie de la population qui prenait au pied de la lettre le contenu fictionnel de Born to Run, l’ouvrage de Christopher Mc Dougall.

2) Vu de France, l’intensité du « débat » qui règne aux USA sur le sujet paraît surréaliste. Diriez-vous qu’il s’agit d’une véritable guerre avec des conflits d’intérêt en jeu ? Qu’en pensez-vous ?

Personnellement, je n’ai rien contre le running barefoot. Mon souci, en tant que scientifique, c’est de rétablir une certaine vérité face aux détournements qui sont faits par les fanatiques du barefoot de résultats de recherche (citations partielles, incompréhensions, approximations …). Malheureusement, il est complètement impossible d’essayer d’avoir une discussion rationnelle avec les grands prêtres du minimalisme. Dès que vous pointez du doigt que tel résultat de recherche ne s’interprète pas forcément comme ils le prétendent, leur seule réaction est de vous attaquer en tant que personne. J’ai reçu un nombre invraisemblable de mails d’insultes mais aucun de ces mails ne proposait d’échanger avec moi sur les questions posées. Cela illustre bien le fanatisme que j’évoquais précédemment.

3) Les tenants du barefoot / minimalisme évoquent comme une mantra des résultats de recherche scientifique qui abonderaient dans leur sens (par exemple l’étude Lieberman). Qu’en pensez-vous ?

Il n’y a strictement AUCUNE évidence scientifique mettant en évidence, dans la pratique de la course à pied, les bienfaits du port de chaussures ou au contraire ceux du barefoot. Encore une fois, les partisans du barefoot ont une fâcheuse tendance à la ré-interprétation. Prenons le cas de l’étude Lieberman. Celle-ci n’avait pas pour objet de lister les bénéfices liés à la pratique du barefoot mais juste de comparer des manières de courir : barefoot ou chaussé. Qui plus est, l’échantillon étudié était peu représentatif car quantitativement pas assez nombreux et surtout avec des différences d’âge importantes entre les deux groupes. D’ailleurs, le protocole et la méthode employés ont été sévèrement critiqués voire jugés invalides par la communauté des biomécaniciens. Et pourtant, c’est sur cette étude que les promoteurs du barefoot ont bâti leurs prêchés. Il faut savoir que Lieberman, lui-même, a publié sur son site un encart précisant qu’il réfutait les interprétations faites par certains de ses recherches. Voir ici : http://www.runningbarefootisbad.com/another-study/73/
Un autre exemple de ré-interprétation est celui de l’étude Kerrigan. La communauté barefoot prétend que cette recherche affirme le lien causal entre le port de chaussures de running et l’arthrose. Mais ce n’était même pas le sujet de l’étude ! Voir l’article que j’ai rédigé sur le sujet : http://www.runningbarefootisbad.com/hook-line-and-sinker/26/

4) Pensez-vous qu’il existe une « foulée idéale » que tout le monde devrait adopter ? Et si tant est qu’elle existe, ne doit-elle pas conduite à une chaussure elle aussi « idéale » ?

Il n’y a, à ce jour, aucun élément scientifique ou technique définissant « la meilleure façon de courir ». La meilleure façon de courir pour tout un chacun est tout bêtement de courir naturellement, comme cela vient. Changer sa façon de courir nécessite beaucoup d’énergie, or qui dit dépense d’énergie supplémentaire, dit diminution de l’efficacité.
Les runners barefoot aiment à répéter que courir sur l’avant du pied supprime les conséquences des impacts sur le talon. Mais ils oublient de dire que cette façon de courir induit des charges augmentées sur l’avant du pied ainsi que dans le tendon d’Achille. D’ailleurs, aucune étude scientifique n’a prouvé un lien quelconque entre hauteur de la semelle au talon et blessures. Voir ici : http://www.runningbarefootisbad.com/where-are-all-these-impact-injuries-that-runners-are-supposed-be-getting-an-epidemic-of/152/

Il n’y a pas de chaussure « idéale ». Les coureurs ont des façons de courir et des caractéristiques du pied variées et chacune doit être prise en compte dans le choix d’une chaussure. Pour certains, cela peut signifier : pas de chaussure.

5) Les tenants du barefoot avancent comme argument massue la suppression des blessures chroniques liée à leur pratique. Qu’en pensez-vous ?

Encore une fois, AUCUNE étude scientifique n’a établi de lien entre les chaussures de running et les blessures. Contrairement aux affirmations répétées à l’envi, il n’y a strictement AUCUNE donnée sur ce sujet. Bien sûr, on se blesse en chaussure mais les barefooters se blessent aussi ! Certains, effectivement, semblent ne plus souffrir de blessures après s’être lancés dans le barefoot. Mais pour d’autres, la situation est radicalement inverse !
Zola Budd – qui a couru pieds nus aux JO – est souvent citée comme exemple mais on oublie qu’elle dut finalement porter des chaussures suite aux nombreuses blessures dont elle a souffert.

6) La pratique du barefoot / minimalisme peut-elle s’avérer dangeureuse ?

Là non plus, il n’y a pas de données permettant de répondre à cette question. Par contre, en ce qui me concerne, je pense que certaines blessures liées à la course à pied peuvent être amplifiées par la pratique du barefoot. Le principal danger du barefoot réside aussi dans l’environnement, ce sur quoi vous posez les pieds. Les runners barefoot doivent faire preuve d’une attention accrue.

7) Pensez-vous que le barefoot puisse être une composante intéressante d’un plan d’entraînement (sur une séance spécifique) ?

Oui, tout à fait, en guise d’exercice à inclure dans son entraînement hebdomadaire. Beaucoup de coureurs elites le font d’ailleurs mais cela reste un exercice spécifique et ils ne veulent en aucun cas être liés aux idioties proférées par les fanatiques du barefoot.
Je crois d’ailleurs qu’il faut établir une distinction précise entre ceux qui utilisent le barefoot comme outil à l’entraînement et ceux qui le professent comme une « philosophie ». Et c’est bien ceux-là avec qui, j’ai un problème.
Les coureurs élites sont des gens intelligents. Ils cherchent à utiliser au mieux tout « outil » ou méthode leur permettant d’améliorer leurs performances. Le fait qu’aucun d’entre eux ne se lancent à corps perdu dans le barefoot est quand même un signe. Si le barefoot était aussi efficace, ils devraient tous s’y mettre ! Même les Africains courent en chaussures.

8 Quelle est votre opinion sur les modèles minimalistes vendus dans notre pays (Vibram Five Fingers et Terra Plana EVO) ?

On constate un nombre grandissant de fracture de fatigue des métatarses chez les utilisateurs de Vibram Five Fingers. Il y a là matière à réfléchir voire à s’inquiéter. En fait, ce qui m’inquiète plus c’est que la réaction de la communauté barefoot face à ce début d’épidémie est de dire que ce n’est pas la chaussure qui est en cause mais un entraînement inadapté. Par contre, ce qui est intéressant de noter, c’est que lorsqu’un coureur se blesse avec des chaussures classiques, cette même communauté barefoot met en cause, non pas une éventuelle erreur commise à l’entraînement, mais uniquement la chaussure. Ils veulent le beurre et l’argent du beurre en quelque sorte et cela m’énerve au plus haut point.

Merci pour ce point de vue tout à fait intéressant. J’invite tous ceux qui voudraient se lancer dans le barefoot / minimalisme à consulter tant les sites en vantant la pratique que le site de notre interlocuteur afin d’avoir une vue d’ensemble du sujet. Une autre ressource intéressante citée par notre interlocuteur : http://www.podiatry-arena.com/podiatry-forum/showthread.php?t=43282