Running, Trail, Fitness
 

Les Chroniques Sableuses #11

frank


 

Un voyage intérieur au delà de la raison!

Semaine- 3 / 19 Mars

J-17 avant le départ pour le Maroc. Dernière semaine d’entrainement avant une quinzaine de jours destiné au repos, à la détente et à l’accumulation de réserves énergétiques physiques et mentales. Oui, énergie mentale, car on imagine mal quand on découvre cette épreuve combien les émotions, les sentiments, l’intensité de certains moments occupent une part très importante dans le déroulement de la course. Je ne parle que de la course et pas de la vie sur le bivouac qui elle aussi est une expérience incroyable,  ce sera d’ailleurs le sujet de la chronique de la semaine prochaine. Comment appâter les lecteurs…:-) . Au sujet de ce qui secoue la tête et qui me motive plus que le simple fait d’aller courir dans le désert dans les conditions du MDS , voici un extrait de mon compte rendu de l’étape 4, appelé par tous « La Longue » entre le CP2 et l’arrivée soit entre le Km 25 et le Km 82.

Km25 CP2
4H42 de course ! Près de 3h00 pour faire 12.5Km !!! Mon bon début est bien loin (de 289ème je suis passé 442ème). Il est 14h00, la chaleur devient écrasante. Beaucoup de concurrents sont sous les tentes pour se reposer. J’essaye d’évacuer le fait qu’il reste encore 4CP et près de 60 Km, mais je comprends bien qu’en avançant à 4 km/h je suis loin d’être arrivé…. Pour éviter de trop cogiter, je repars en trottinant, quand je trottine je ne cogite pas, c’est en marchant que je me pose des questions. Les enchaînements de lit d’oueds et de zones sableuses m’empêchent de courir régulièrement. Je décide d’une »tactique » : Des séries! Je cours 7 mn si le terrain le permet et pendant 3 mn je marche en respirant à fond. C’est incroyable comme le temps passe lentement quand je suis en mode course (7′) et rapidement quand je récupère(3′), à croire que ma montre s’est elle aussi liguée contre moi. Coup de déprime supplémentaire quand je me fais doubler par 2 Espagnoles qui bavardent tranquillement tout en marchant… Soudain, sur ma gauche je vois débouler Salameh Al Aqra (N°236), le Jordanien, parti 3h00 après nous. J’ai l’impression qu’il flotte sur la piste, sa foulée est puissante, aérienne, le buste droit, sa saharienne qui vole, vision magnifique ! A 12 Km/h il devient très rapidement un point au loin. Même si cela m’a distrait, cela me rappelle qu’il sera arrivé depuis bien longtemps lorsque mon calvaire, lui se finira, peut être…. Pour m’occuper l’esprit et oublier ces putains d’anglais qui n’arrêtent pas de me doubler, je décide de compter le nombre de coureurs du 2ème groupe qui me dépasse.J e vois passer Damien Verdiet (premier Français), Marco Olmo (mon idole), j’essaye de le suivre durant quelques mètres mais à 63 ans, le grand Marco avec sa foulée rasante devient très rapidement invisible à l’horizon. Laurence Klein, la 1ère féminine passe à son tour et j’arrête de compter.

J’en ai vraiment marre, de ce trek ! Et puis d’abord ce n’est même pas un trek, c’est une course à pied, sauf que je ne courre pas. Je m’arrête à l’ombre d’un petit arbre pour souffler (je ne fais que ça souffler…) et je regarde à l’arrière. Je me rends compte que depuis le départ, je n’ai quasiment jamais regardé derrière moi ! On est toujours à la recherche d’un point devant, du prochain CP ou d’un concurrent que l’on va essayer de rattraper et de doubler, mais je ne regarde jamais ce qu’il se passe derrière. En l’occurrence derrière moi il y a d’autres concurrents et si je reste là, ils vont me passer devant. J’en ai ma claque, je m’en fous un peu que tout le monde me double. Ca ne m’intéresse plus ! Je suis venu ici pour courir et je ne peux pas (plus) courir. Marcher me déprime car tout le monde me double! Et puis ça me saoule ce paysage, il fait trop chaud, y’a pas d’ombre! J’en ai ras le bol de cette boisson sucrée et j’ai pas envie de manger ma barre énergétique. Je fouille dans mon ventral et tombe sur mon Ipod. A ben voilà, je vais le mettre, ça me changera les idées. Je repars en marchant (bien sur) tout en détortillant le fil du casque. Au bout de 10 mn, je finis par mettre le Ipod en route : Manu Chao. Ca me redonne un petit coup de fouet d’autant que l’on est sur une zone un peu plus caillouteuse. Je continue en alternant marche et course très lente avec la musique pour finalement atteindre ce foutu CP3. Je passe la ligne en chantant avant de couper l’Ipod pour rentrer dans le sas. Les contrôleurs très sympas essaient de me réconforter et de m’encourager quand je leur réponds : »Non ça ne va pas du tout ! Ceci dit, c’est vrai que je n’ai aucun problème ni aux jambes ni aux pieds, c’est tout dans la tête !

Km 38 CP3
7h14’ de course. Il est 16h30. Les jours précédents nous étions en fin d’étape à cette heure ci. Hier à cette heure j’étais les pieds en l’air en train de siroter ma boisson de récup alors que là je ne suis même pas à mi course et j’en ai ras les baskets!
Je récupère ma bouteille d’eau et me dirige vers une tente ou il reste de la place. Je sens bien que je suis en train de « sortir » de la course et si je m’arrête au CP c’est commencer à glisser sur la mauvaise pente. Je ne veux pas abandonner, mais il faut que je pense à autre chose que je retrouve de l’intérêt, la motivation. Pour l’instant, je me demande vraiment ce que je fous là. J’enlève mon sac (très grosse erreur car c’est le premier signe que l’on se met sur la voie de garage), je m’assois et je remplis mes bidons (preuve quand même que je n’ai pas complètement décidé de m’incruster ici), je rumine en enlevant mes chaussures (très, très mauvais signe). J’irais au bout de l’étape, pour ma famille, les amis, les enfants du Grain de Folie, j’irais! Mais quand est ce que je repartirais d’ici, quand est ce que j’arriverais, j’en sais rien et je ne veux pas y penser. Cela ne devait pas se passer ainsi. Je devais surmonter ma fatigue, la douleur, aller au-delà de mes limites et continuer à avancer, mais là je suis dégoutté, désintéressé, envie d’être ailleurs… J’en suis là, au milieu de ces sombres pensées quand Laurent arrive, m’aperçois et me rejoins sous la tente.
Il doit voir à ma tête que je suis en train de déraper, de sortir de la course. Il m’explique qu’il faut stopper toute velléités de prendre racine sous cette tente. A ce moment là arrive Franck (parti 3h00 après nous) qui s’écroule à côté! Il souffre de maux de ventre et semble mal en point. Visiblement il a « tapé » dans la machine pour rester au contact de sa course (vous savez, l’autre course, celle des extra terrestres qui volent sur la piste…). Il veut laisser tomber ! Décidément ce n’est pas l’heure des Fran(c)k ! Avec Laurent (surtout Laurent d’ailleurs) on le motive, Laurent lui donne une barre Mulebar (Avec une Mulebar tout repart !). Il craque au niveau digestif (overdose de ses produits énergisants) On le reconditionne doucement, et petit à petit Franck « refait surface ». Il s’assoit, se relève, et hop le voilà reparti. Yes ! De voir ce champion à l’agonie m’a fait oublier mes petits soucis et dans la foulée, Laurent me dit qu’on est également sur le départ.

On quitte le CP en marchant pour grimper tranquillement sur le Jebel Mouchanne. On bavarde, Laurent me raconte son parcours étudiant et professionnel. Je suis très attentif, d’abord parce que c’est intéressant, Laurent a vraiment un parcours assez incroyable dans sa diversité, sa richesse et son ouverture sur le monde en général, ensuite parce que j’oublie le contexte dans lequel nous sommes : la course, le sable, les gens qui nous doublent, mes jambes fatiguées, le sac qui pèse, le nombre de km qui restent, bref je m’évade du MDS. Au gré des aventures et du parcours de Laurent nous avançons. Il s’est mis à mon rythme de marche malgré ses possibilités supérieures, ce qui me permet de rester à ses côtés sans m’asphyxier. Nous sommes sur un terrain plat avec quelques bosses. Nous parlons de la famille, des enfants, de la vie quoi! Le soleil se couche, le désert prend une teinte orangée, la température est devenue agréable, les chameaux (en fait des dromadaires) broutent le long de la piste. On marche à un rythme tranquille, je bavarde avec un ami, je profite du moment, je prends du plaisir. Incroyable contraste, il y a 1h00, j’étais au fond du trou et je vomissais sur tout ce qui m’entourait et maintenant je retrouve ce qui m’a fait devenir un amoureux inconditionnel du désert. Merci Laurent, déjà rien que pour ce moment de bonheur !
Laurent m’a remis sur les rails de la course. On essaye d’estimer notre arrivée au CP4, on aimerait y être avant la nuit, soit avant 19h30. Notre progression suit le rythme des orientations professionnelles de Laurent (pour moi c’est plus rapide, je n’ai jamais changé de boulot !). Depuis le départ du CP3, je ne bois que de l’eau pure, je ne peux plus supporter le goût (soit disant neutre) de ma boisson. On croise une caravane de chameaux (oui je sais c’est des dromadaires) on franchit des dunettes (je suis tellement absorbé par notre conversation que je ne peste même pas) et après avoir traversé une piste remplie de trace de véhicules, qui nous rappelle que nous sommes bien loin d’être perdu au milieu du désert, nous voilà en vue du CP4. C’est fou, aujourd’hui entre les CP2 et 3, j’aurais vécu le pire et entre les CP3 et 4, le meilleur moment de ce MDS !

Km 49 CP4
Il est 19h10, la nuit tombe, nous sommes dans notre timing (arriver au CP4 avant 19h30). Cela fait près de 10h00 que je « cours ». Je viens de battre mon record (9h30 pour la Saintélyon). 2h30 pour faire 11 km, pas rapide, mais personnellement je m’en moque, je suis revenu dans l’épreuve et je viens de passer un super moment. Je comprends ceux qui parlent de ces instants fabuleux de partage au MDS. J’ai eu ce privilège. Nous avons décidé de nous arrêter le temps de manger. On se pose sous une tente, on allume la frontale et on sort notre « pique nique ». On partage la viande séchée de Laurent, mon saucisson, les noix de cajou. J’avale mon sportdej avec plaisir car je sature des barres et de me mes gels qui sont pourtant ce qui se fait de mieux en goût et qualité. Un Italien nous offre un morceau de chorizo !!! Quel bonheur, je lui aurais embrassé les pieds ! Et pourtant vous imaginez des pieds d’Italien après 158 km au MDS….. ! Dès notre frugal repas achevé Laurent donne le signal du départ, il a raison sinon on (je) risque de ne plus repartir. Des concurrents ont décidé de s’arrêter et de dormir au CP4. Que ce soit sous les tentes ou à l’extérieur, beaucoup sont déjà dans leur sac de couchage. On casse le bâton, qu’on nous a donné au CP3, on le secoue et miracle ça devient lumineux. On le fixe au dos du sac, un petit pipi au jugé (il faut éviter de pisser sur quelqu’un qui dort) et nous voila reparti.

Direction plein Nord sur le lac asséché Ma der el Kebir pendant 7 km avant 5 km de dunes et le CP5. En prévision de la fraîcheur de la nuit, nous avons revêtu nos polaires. La direction à suivre est donnée par des petits bâtons lumineux disposés tous les 200m environ (quand ils n’ont pas été piqués par des gamins du coin). C’est vraiment sympa de voir ce cordon lumineux avec le ciel rempli d’étoiles. Une nouvelle course commence. Nous marchons derrière des Espagnols en pleine conversation bruyante, aussi nous les laissons prendre un peu d’avance afin de profiter du calme et du silence (relatif) du désert. Ceux qui pensait faire une expérience d’immersion dans le désert avec une cure de solitude pour se retrouver face à soi même, doivent déchanter… Laurent imprime une cadence rapide, je suis son rythme, le terrain plat et dur me le permet pour l’instant sans que je sois en surrégime. J’ai rempli un de mes bidons avec du Power Punch Tomate, c’est agréable ce goût de tomate, j’alterne eau pure/ eau+ »tomate ».Très vite nous avons trop chaud, on enlève les polaires. Même si nous ne sommes pas seuls au monde, la densité des coureurs est moindre que dans la journée. La course s’étire. Km 56 on rentre dans un champ de dunes, j’ai du mal à rester au niveau de Laurent, je me cale derrière lui, j’essaye au maximum de mettre mes pas dans les siens pour garder le contact. On tente dans l’obscurité de trouver des directions subtiles afin d’éviter certaines montées, en contournant les dunes. Ce n’est déjà pas évident de jour je vous laisse imaginer à la lumière de la frontale…. Insidieusement je perds du terrain sur Laurent malgré mes efforts pour garder ses chaussures dans le halo de ma lampe. Je ne profite pas vraiment de la magie de marcher la nuit au milieu des dunes, trop occupé que je suis à éviter de m’enfoncer dans le sable et d’avoir à courir pour rattraper Laurent. Un gars arrive derrière nous en courant, il souffle comme un buffle en éructant des »Fuck ! Come on ! Fuck ! Come on ! Il nous dépasse et les « Fuck ! Come on, s’éloignent …. Ouahou ! Impressionnant ! C’est un des 50 premiers, repérables à la fleur du dossard. Depuis combien de km (et pour combien encore) est il dans ce « mode » là ? Soudain des gamins débouchent de derrière une dune ! Quand je vous disais que l’on était loin du désert. Ils viennent d’un village à 2/3 km et sont là pour voir les fous qui courent (marche pour moi) dans leur « jardin » la nuit… Ils vont nous accompagner jusqu’à la fin des dunes. On retrouve de la terre battue pendant 1 Km avant d’arriver au CP5.

Km 61 CP5

On n’a mis pas loin de 3h00 pour faire ces 12.5Km. Cela fait 13H19 que je suis parti. Il est 22h39. On discute un instant avec une doc, en fait c’est surtout Laurent qui bavarde, moi je commence à avoir du mal à garder les idées claires. Depuis le début des dunes, je suis en sur régime, mes cuisses et mon souffle saccadé sont là pour me le rappeler. Laurent essaye de prévoir notre heure d’arrivée, il pense que l’étape doit pouvoir se faire en 18/18h30. Je me dis que c’est incroyable, 18h30 ? C’était une estimation que j’avais faite dans mon canapé, mais compte tenu des évènements de la journée et de la nuit et on est encore loin de l’arrivée, cela me semble inimaginable. D’ailleurs j’ai un peu de mal à savoir ou on est vraiment et combien il reste de CP. 1 ou 2… ? 1CP et après c’est l’arrivée !
Après un passage où on slalome entre des arbres, on attaque un plateau caillouteux. C’est mon tour de causer, de raconter ma vie professionnelle, les voyages. Un gars (ou une fille) vient à notre hauteur et pendant environ 1 km il (ou elle) reste à notre niveau en silence. Ce n’est qu’un bon moment plus tard, absorbé par notre bavardage qu’on constate qu’il (ou elle) a disparu. A priori on du le (la) lâcher car Laurent tout en me faisant parler maintient un rythme élevé. Je prends conscience que je parle et que mes jambes avancent, mais qu’e ce sont pas des actions clairement décidés. Mon bavardage encouragé par Laurent évite à mon cerveau de prendre conscience que mes jambes fonctionnement. Ma tête semble absente des débats et laisse les éléments de mon corps (jambes, voix) agir à leur guise. Mes cuisses me font très mal et j’ai peur de choper des crampes, mais malgré cette douleur, mes jambes continuent d’avancer au rythme de Laurent. Un nouveau passage sablonneux au niveau du Jebel Joufert ou je décroche de son niveau, je me cale alors dans ses traces avec toujours l’obsession de ne pas perdre de vue les talons de ses Hoka dans le faisceau de ma lampe. J’ai l’impression d’être sur du 350V au lieu du 220 habitue et que les connexions grillent les unes après les autres. Je n’ai plus la lucidité pour m’hydrater régulièrement. J’ai abandonné la « Tomate » au CP5 ainsi que toutes formes de sucre…

Parfois on croise des 4×4 qui nous font penser que le CP approche, mais ce ne sont que des membres de l’organisation ou des docs qui surveillent que tout se passe bien pour les concurrents. Je serais curieux de savoir combien pourrait dire à cet instant (hormis ceux qui sont arrivés) « pas de problème, ça baigne, tout va bien » ? On finit par sortir de la passe du djebel. On semble distinguer un halo lumineux qui annoncerait le CP. Je repense à la Saintélyon ou le fait de courir la nuit était devenu la logique, j’ai un peu le même ressenti , il fait nuit, je marche dans le sable, je suis les traces de Laurent et c’est tout ! Ma tête est totalement déconnecté des éléments environnants : nuit, désert, isolement (depuis le CP5, nous n’avons doublé personne et personne ne nous a doublé). Mes pensées (si l’on peut parler de pensées) sont limitées à: avancer, continuer à faire le mouvement d’un pas devant l’autre! De toute façon j’ai le regard rivé par terre pour regarder ou je pose les pieds et mon univers visuel se limite au champ lumineux de ma frontale. Pour la beauté du ciel, l’ivresse de la nuit dans le désert va falloir repasser. Je commence à radoter, plusieurs fois je demande à Laurent si je ne lui pas déjà raconté ce que je suis en train de lui dire… Cette fois ces lumières c’est bien le CP, mais plus on avance plus elles semblent s’éloigner! Malgré tout on finit par arriver au CP6, après qu’ils l’aient reculé d’au moins de 2 Km.

Km 72 CP6
Il est 1h14, cela fait 16H00 de course ! 2h45’ pour ces 11 Km. L’ambiance au CP6 est étrange, il n’y a quasiment personne, un seul sas pour les 850 concurrents. Un peu le sentiment d’être au bout de nul part. 2 Docs dans un 4×4. Pas de lumière sur le site. Bon, tout est fait pour qu’on ne s’y éternise pas. Ca tombe bien ce n’était pas notre intention. Il reste 10 Km, 10 tours du stade de Méons (ou je m’entraîne parfois), un gros aller/retour entre la maison et Rochetaillé (un village que je traverse tous les dimanches dans ma sortie longue). Après tout ça, (j’ai battu mon record de distance: 68 km) je ne vais pas craquer ? Laurent ne se pose pas ces questions, il me dit qu’on doit y aller. Me remettre en route n’est en soi pas difficile car mes jambes sont autonomes. Pour elles c’est presque d’être à l’arrêt qui pose problème. On distingue le fameux rayon laser vert, qui symbolise l’arrivée), mais il semble être à des milliers de Km. Je remets mes yeux sur les talons des chaussures de Laurent. La nature du terrain n’a plus d’importance, il n’y a plus qu’une chose : avancer un pied et puis l’autre pour rester au contact visuel des empreintes de pas de Laurent. Il pourrait passer une escadrille de dinosaures devant moi que je ne les verrais pas.
Par intermittence, je ressens une douleur dans les cuisses et dans ma cheville droite, mais si je laisse le petit bout (qui reste) de mon esprit rationnel fonctionner, son message sera très clair : »Plus jamais ça! Arrêt immédiat ! Stop! Heureusement, mon esprit rationnel n’a pas la possibilité de s’exprimer, Laurent, devant moi me harcèle de questions sur mon boulot, les promotions ou opérations que je devrais mettre en place. Bref des questions essentielles à cette heure et à cet endroit. Comme je n’ai pas l’énergie (et la lucidité) de lui répondre que ce n’est pas le moment, je lui explique par le détail ce que je fais et ne fais pas.(au retour du MDS , il pourra prendre la responsabilité du magasin sans problème). Les connexions cerveau- membres inférieurs sont grillés, il y a une vraie autonomie de mes jambes. Habituées depuis des Km à faire un pas devant l’autre à un rythme donné, elles continuent tant que les rouages de la machine ne se grippent pas (blocage mécanique, coup) ou qu’un élément extérieur (chute, obstacle) les stoppe.
J’ai l’impression d’être un zombie, le sentiment qu’une partie de moi s’est détaché de mon corps et que je suis spectateur de cet individu qui marche mécaniquement. Suis je allé au-delà de mes limites ? Physiquement je n’en sais rien, certainement, même si je continue d’avancer. Mentalement ? C’est sur ! D’ailleurs, je suis plongé dans un état mental dont j’ignorais totalement l’existence. Je crains même d’être aller dans des zones dont je ne pourrais peut être pas revenir…. Folie ?

Je prends quand même conscience que Laurent s’éloigne. A-t-il accéléré ou c’est moi qui ralentis ? Je suppose qu’il a du élever son rythme. L’ennui c’est que je ne parle plus et cela laisse un espace à ma raison pour divaguer. J!inspire et je souffle bruyamment pour essayer de retrouver un rythme cardiaque normal. Laurent, bien que je ne le vois plus, continue toutefois de m’encourager et de me soutenir, notamment en me disant qu’il ne reste plus qu’1km (alors qu’il doit en rester au moins 3). Comme pour le CP6, je suis persuadé que le rayon laser vert, qui est parait il, sur un camion à l’arrivée, recule. Insidieusement. Laurent a pris une dizaine de mètres d’avance, il me crie de le suivre, il pense qu’en partant sur la droite, on va pouvoir couper… Je n’ai aucune possibilité ni envie de le contredire. Je suis persuadé que de toute façon cela ne s’arrêtera jamais, j’ai peur que cet état de souffrance dure indéfiniment, que je ne franchisse jamais la ligne d’arrivée. Je monte, je descends, l’espace temps n’existe plus. Je regarde ma montre en me persuadant que lorsque l’aiguille sera là, ça sera fini. Ce calcul me rassure sur mes facultés à pouvoir encore raisonner, si je suis capable de compter c’est que…. Au bout d’un temps indéfini, je distingue enfin la masse noire du camion ou est installé le laser. Puis après une autre éternité ou j’ai fermé les portes à tous les sentiments ou forme de raisonnements, j’entends un bip, c’est Laurent qui passe la ligne. 2mn après (qui pour moi équivalent à 2H00) je franchis à mon tour la ligne d’arrivée. C’est fini… ??!! Je suis arrivé! On l’a fait!

Km 82 Arrivée de la 4ème étape.
C’est vraiment fini… ??!! J’ai terminé l’étape! Il est 3h40?! Cela fait 18h25 que je suis parti, j’ai parcouru les 82 Km….?! Ce sont plus des questions que des affirmations.
Je suis scotché sur la ligne, hébété, Laurent est là. Je ne peux pas parler, mon cœur est à 1500 pulsations minute. Je ne sais pas si je suis content, soulagé. Je n’ai pas la certitude que c’est terminé. Je n’arrive pas à ressentir d’émotions. Les fusibles qui ont grillés dans ma tête n’ont pas encore eu le temps de se reconstituer. Je dois fonctionner à 5% de mes possibilités. Je suis au niveau pré néandertalien. Je voudrais remercier Laurent car sans lui je serais sans doute encore au CP3, mais je n’arrive pas à formuler de mots (donc des phrases, vous imaginez…). Les contrôleurs me demandent si ça va, je hoche la tête: » Oui! Impeccable… ». Il nous faut bouger de la ligne d’arrivée. Je remets une jambe devant l’autre pour me diriger vers la tente ou les bénévoles nous donnent nos bouteilles d’eau. Les jambes dociles, repartent…. La journée, enfin la nuit n’est pas terminée….
Si vous êtes encore là , voilà certainement ce qui fait qu’aujourd’hui, participer au Marathon des Sables n’est pour ma part pas qu’une simple course particulière mais une véritable aventure et un vrai voyage intérieur.

Frank/Dossard 201 /Membre du Team Raidlight

N.B : pour ceux que cela intéressent vous pouvez trouver le CR du début de cette étape, des étapes précédentes et des suivantes sur le récit :

Le Grain de folie du dossard 201 :

http://dossard201.mds2011.over-blog.com/categorie-11955664.html

 

3 commentaires sur “Les Chroniques Sableuses #11”


Posté par Cyril Le 20 mars 2012 à 21:58

Clap clap clap !
Super sympa à lire, et bien que ça ne décrive qu’une seule et looongue galère ça donne presque envie 🙂
Bon, pas pour cette année ni l’année prochaine, moi j’attends avec impatience mon premier marathon ce dimanche.

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Posté par frank Le 21 mars 2012 à 10:32

Bonjour Cyril,

merci et bon courage pour ton 1er marathon. Je m’en souviens très bien (Lyon 2006), j’avais presque autant souffert en découvrant la distance et la durée de course (4h36…) . Ceci dit cela ne m’ a pas dégoutté, au contraire…

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Posté par Pariez jouez Le 21 mars 2012 à 14:35

Félicitation pour ton premier marathon !

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